Iode, alimentation crue et hyperthyroïdie féline
Dans l’article sur les compléments que j’ajoute à l’alimentation de Néline et de Praline, j’ai mentionné le kelp comme source d'iode. Dans cet article, je vais vous donner plus de détails sur l’iode, car c’est un nutriment essentiel pour les chats. “Essentiel” signifie que les chats ne sont pas capables de synthétiser l’iode par eux-même et elle doit donc être apportée dans leur alimentation.
Dans cet article, je vous explique ce qu’est l’iode, quels sont les besoins en iode de votre chat, dans quel aliment on trouve de l’iode et bien plus encore.
L’iode, qu’est ce que c’est ?
L’iode est un sel minéral et plus précisément un oligo-élément qui est présent dans le corps en très petite quantité. Même si l’iode est présent en très petite quantité, cela ne veut pas dire que l’iode est inutile. Au contraire, l’iode participe à la synthèse par la glande thyroïde de deux hormones : la thyroxine (T4) et la triiodothyronine (T3). Ces hormones jouent un rôle dans la régulation du métabolisme, la thermorégulation, la croissance, la reproduction, le fonctionnement neuromusculaire, ainsi que dans l’intégrité de la fourrure. [1][2][3]
Une carence en iode peut causer un poil rêche, de l’apathie ou un goitre, qui est un grossissement de la thyroïde. Chez le chaton, une carence en iode peut perturber la croissance, provoquer des déformations squelettiques, des lésions de la peau et des dysfonctions du système nerveux. L’hyperthyroïdie féline peut être causée par une carence en iode.
Si l’iode est en excès, les symptômes sont aussi un goitre, une fourrure rêche ainsi que l’hyperthyroïdie féline.
L’hyperthyroïdie féline est une préoccupation importante car c’est une maladie relativement courante chez le chat : près de 10% des chats de plus de 10 ans en sont affectés. C’est la maladie hormonale la plus courante chez le chat.
Les symptômes de cette maladie sont une augmentation de la faim, une consommation excessive d’eau, une augmentation de l’urination, une perte de poids, une hyperactivité et un grossissement de la thyroïde. [5-11]
Depuis la fin des années 70, la maladie est devenue de plus en plus prévalente. Les causes ne sont pas encore bien comprises, mais certaines théories suggèrent que la cause serait une alimentation carencée ou excessive en iode ou encore une alimentation avec de larges variations dans les quantités d’iode. Pour toutes ces raisons, je recommande de faire attention au contenu en iode de l’alimentation que vous donnez à vos chats.
Quels sont les besoins en iode du chat ?
Maintenant que nous comprenons ce qu’est l’iode, regardons quelles sont les quantités dont un chat en a besoin. Et c’est là que les choses se compliquent. En effet, il y a peu d’études sur les besoins en iode du chat et il y a des débats pour savoir si les besoins définis par le NRC et par l’AAFCO sont respectivement sur-estimés ou sous-estimés.
La dernière étude, publiée en 2009, détermine que le besoin en iode est de 115 μg pour 1000 kcal d’alimentation. [4]
La recommandation actuelle du NRC, qui a été publiée en 2006 (donc avant l’étude de 2009), est de 350 μg d’iode pour 1000 kcal.
L’AAFCO, avant l’étude de 2009, recommande 88 μg puis ajuste la recommandation à 150 μg après avoir pris en compte les résultats de l’étude de 2009 (avec une marge de sécurité).
Une revue scientifique récente recommande de rester entre 125-500 μg d’iode pour 1000 kcal. [7]
Je serais plus conservative et recommanderais de rester entre 125-350 μg. Vous trouverez un calculateur à la fin de cet article, si vous voulez déterminer le besoin quotidien de votre chat.
La quantité maximum en iode souvent recommandée est de 1000 μg pour 1000 kcal, avec des effets délétères qui peuvent commencer à apparaître à 2200 μg pour 1000 kcal. [7]
Le minimum semble être de 45 μg pour 1000 kcal, qui a été donné a des chats pendant deux ans sans effets secondaires. [4][12]
Comme nous l’avons vu précédemment, à la fois une carence ou un excès en iode peuvent causer des problèmes de thyroïde sur le long terme, c’est pourquoi il est mieux de rester dans l’éventail recommandé.
Néanmoins, lorsque des aliments industriels tels que des croquettes ou des pâtées ont été analysés, la quantité d'iode variait dramatiquement allant de sous le minimum jusqu’à loin au-dessus du maximum nutritionnel. Ces variations pourraient être l’un des facteurs de l’épidémie d’hyperthyroïdie féline, combinées avec d’autres facteurs environnementaux. Dans l’une des études la quantité d’iode dans des aliments industriels allait de 50 à 38640 μg pour 1000 kcal. [8]
Puisque les grosses variations dans les apports en iode sont l’une des causes potentielles de l’hyperthyroïdie, je recommande de donner une quantité régulière d’iode et d’éviter de ne donner qu’une seule grosse quantité une fois par semaine.
Où trouve-t-on l’iode ?
L’iode sur terre se trouve principalement dans les mers: les aliments riches en iode sont donc le poisson, les algues et les fruits de mer. Elle est aussi présente dans les œufs et dans le lait. La quantité d’iode dans la viande, les légumes, les fruits, les céréales et les graines est très faible, mais il y a des variations en fonction des zones géographiques. Si le sol est plus proche de la mer, les aliments seront plus riches en iode que les arrières-pays.
Vous trouverez des informations sur les quantités d’iode dans les aliments dans les bases de données nutritionnelles de nombreux pays dont CIQUAL, la base de données française.
J’ai fait quelques calculs dans 3 recettes différentes pour vous donner une idée de la quantité d’iode dans une alimentation crue moyenne.
Exemple 1
J’ai calculé la quantité d’iode dans l’exemple d’une alimentation équilibrée basée sur les recommandations du NRC que j’ai décrites dans cet article, sans le kelp puisque c’est le supplément en iode que j’utilise comme on le verra plus loin.
La quantité d’iode dans ce régime est de 10 μg, dont 8 μg viennent du sprat et des moules.
Le besoin quotidien en iode de ma chatte Praline (3.7 kg) est de 30 μg. Donc sans supplément et même si l’alimentation contient du poisson seulement 33% des apports sont couverts. Si l’alimentation ne contenait pas de poisson ou de fruit de mer, seulement 7% des besoins quotidiens seraient couverts.
Exemple 2
Considérons maintenant une alimentation crue de type Prey Model de 120 g ce qui représente approximativement 3% du poids de Praline :
20 g de cou de poulet, 20 g de cœur de bœuf, 6 g de foie de bœuf, 6 g de rognon de porc, 12 g de maquereau et 56 g de blanc de poulet.
L’alimentation contient 14 μg d’iode ce qui correspond à 46% du besoin quotidien de Praline. De même 10 μg d’iode viennent du poisson sans lequel seulement 13% du besoin quotidien de Praline serait couvert.
Exemple 3
Dans ce dernier exemple, prenons une alimentation type Prey Model supplémenté avec des aliments riches en iode : des huîtres, des moules, du poisson et de l'œuf.
27 g d’aile de poulet, 10 g de coeur de veau, 6 g de foie de poulet, 6 g de cervelle d’agneau, 12 g de sardine, 5 g de moules, 5 g d'huîtres, un oeuf de caille et 39 g de porc.
L’alimentation contient 20 μg d’iode, ce qui correspond à 67% du besoin en iode de
Praline. Une fois de plus, 17 μg d’iode viennent des produits de la mer et de l'œuf de caille, sans ces aliments seulement 10% des besoins en iode serait couvert.
Pour résumer, l’alimentation crue doit être supplémentée en iode : vous pouvez considérer que l’alimentation couvre déjà 30% des besoins et les autres 70% devront être couverts par un supplément.
Comment supplémenter l’alimentation en iode ?
Il y a 3 options souvent utilisées dans la communauté crue pour supplémenter en iode: le kelp, les gouttes d’iode et le sel iodé.
Bien que le sel iodé ne soit pas dangereux, ce n’est pas ce que je recommande car le sodium et le chlore sont tous les deux déjà couverts dans une alimentation crue type Prey Model.
Parlons des deux autres options: le kelp et les gouttes d’iode.
Le kelp
Le kelp ou varech désigne une famille d'algues brunes et non pas une espèce d'algues spécifiques. Comme nous l’avons vu, les algues font partie des aliments riches en iode, et le kelp en particulier est extrêmement riche en iode. Donner en suppléments du kelp séché en poudre (ou en gélules) est une façon très simple de couvrir le besoin en iode tout en utilisant un aliment.
Nous avons vu qu’il est important de ne pas donner d’iode en excès : puisque le kelp est très concentré, faites attention avec la quantité que vous ajouter à l’alimentation. Choisissez toujours une marque de kelp qui indique la quantité d’iode et qui si possible est standardisé.
Enfin, comme la plupart des produits de la mer, le kelp peut contenir des métaux lourds, essayez donc de sélectionner une marque qui teste les produits pour les métaux lourds et en particulier l’arsenic.
Les gouttes d’iode
Une façon efficace de couvrir le besoin en iode est simplement d’utiliser un supplément en iode. Une forme courante du supplément en iode est l’iodure de potassium que l’on trouve généralement sous forme liquide. L’avantage en comparaison du kelp est que ce complément est standardisé et qu’il n’y a pas de risque dû aux métaux lourds.
Glande thyroïdienne et hyperthyroïdie
Vous avez peut-être déjà entendu dire que l’alimentation crue causait l’hyperthyroïdie. Ou vous avez peut-être vu les recommandations indiquant de ne pas donner trop de cous de poulet, comme j’ai pu l’écrire moi-même dans mon article sur les os charnus.
Regardons un peu plus précisément ces deux affirmations.
Plusieurs études de cas ont été faites depuis 2012, comme celles de chiens qui avaient une alimentation crue et qui ont été atteint d’hyperthyroïdie. Lorsque l’alimentation a été changée, les symptômes ont disparu. Néanmoins, d’autres cas ultérieurs ont été rapportés sur des chiens atteints d'hyperthyroïdie qui mangeaient des aliments en boîte, ainsi que sur des chiens qui mangeaient des croquettes et des friandises. [15-20]
Le point commun de tous ces cas est que l’alimentation contenait de l'œsophage de bœuf. En effet, les alimentations crues mises en cause étaient principalement à base de haché d'oesophage, cou et partie de la tête de bœuf, de même pour les pâtées. Dans plusieurs des cas, les chiens recevaient en friandises tous les jours ou régulièrement de l'œsophage de bœuf séché.
Tous ces morceaux sont susceptibles de contenir des tissus thyroïdiens et qui contiennent donc des niveaux élevés d’hormones thyroïdiennes T3 et T4 ainsi que de l’iode, ce qui a provoqué les cas d’hyperthyroïdie.
Ce que l’on peut apprendre de ces cas, c’est que l’alimentation crue en tant que telle n’est pas responsable des cas d’hyperthyroïdie, puisque des cas ont aussi été rapportés avec des chiens qui mangeaient de la pâtée et que les hormones thyroïdiennes sont résistantes à la cuisson. Deuxièmement, peu importe le type d’alimentation, il faut faire attention lorsque l’on donne des morceaux susceptibles de contenir des hormones thyroïdiennes en particulier venant du bœuf.
Néanmoins, aucune de ces études de cas ne portaient sur des chats : probablement parce que l'hyperthyroïdie féline est très courante (contrairement à l'hyperthyroïdie canine) et donc des incidents similaires ont pu passer inaperçus. Il est également probable que les chats sont moins susceptibles d’être nourris avec des aliments à base d’oesophage de bœuf.
De plus, tous les cas constatés se rapportaient à des cous de bœuf : probablement parce que le bœuf étant beaucoup plus gros que le poulet ou le porc, il contient donc plus d’hormones thyroïdiennes. Mais il n’y a pas de raison qu’un excès d’hormones thyroïdiennes venant de cous de poulet ne soit pas tout aussi néfaste.
Je n’ai pas trouvé d’informations sur la quantité d’hormones ou d’iode dans les cous de poulet, et il est donc difficile d’évaluer ce qui est “trop”. Je vous suggère de ne pas donner de cous de poulet tous les jours et de ne pas donner du tout de viande de bœuf venant du cou, en particulier si la thyroïde n’a pas été enlevée.
Pour conclure, l’iode est presque toujours déficiente dans l’alimentation crue, ce qui peut avoir des conséquences sur la santé de nos chats. Je recommande de complémenter l’iode avec soit du kelp, soit un complément en iode. Néanmoins, la quantité doit être relativement précise car un excès d’iode est aussi néfaste qu’une carence. Vous pouvez utiliser le calculateur que je présente ci-dessous pour déterminer la quantité que vous devez ajouter à l’alimentation.
Enfin, les cous de poulet sont susceptibles de contenir des quantités élevées d’hormones thyroïdiennes et pour cette raison je recommande de ne pas en donner tous les jours.
Calculateur de complément
Ce calculateur utilise la formule du poids métabolique :
L’optimum inférieur est 12.5 μg par kg/BW^0.67 équivalent à 125 μg pour 1000kcal
L’optimum supérieur est 35 μg par kg/BW^0.67 équivalent à 350 μg pour 1000kcal
Notes: 1μg = 1mcg = 0.001mg
1mg = 1000μg = 1000mcg
Lecture Supplémentaires
Linda Case a écrit deux articles sur les problèmes avec les oesophages de boeuf : Got Gullet? et Give Up the Gullet
Un article par The Raw Feeding Community Can raw diets cause hyperthyroidism?
Sources
[1] (2015). Canine and Feline Nutrition (Linda P. Case et al.).
[2] HandMichael, S., Morris, M., & Novotny, B.J. (2010). Small animal clinical nutrition.
[3] National Research Council. 2006. Nutrient Requirements of Dogs and Cats. Washington, DC: The National Academies Press.
[4] Wedekind KJ, Blumer ME, Huntington CE, Spate V, Morris JS. The feline iodine requirement is lower than the 2006 NRC recommended allowance. J Anim Physiol Anim Nutr (Berl). 2010 Aug 1;94(4):527-39.
[5] Wakeling J, Elliott J, Petrie A, Brodbelt D, Syme HM. Urinary iodide concentration in hyperthyroid cats. Am J Vet Res. 2009;70(6):741-749.
[6] Edinboro CH, Scott-Moncrieff JC, Glickman LT. Feline hyperthyroidism: potential relationship with iodine supplement requirements of commercial cat foods. J Feline Med Surg. 2010 Sep;12(9):672-9.
[7] Peterson M. Hyperthyroidism in cats: what's causing this epidemic of thyroid disease and can we prevent it? J Feline Med Surg. 2012 Nov;14(11):804-18.
[8] Edinboro CH, Pearce EN, Pino S, Braverman LE. Iodine concentration in commercial cat foods from three regions of the USA, 2008-2009. J Feline Med Surg. 2013 Aug;15(8):717-24.
[9] van Hoek I, Hesta M, Biourge V. A critical review of food-associated factors proposed in the etiology of feline hyperthyroidism. J Feline Med Surg. 2015 Oct;17(10):837-47.
[10] Vaske HH, Schermerhorn T, Armbrust L, Grauer GF. Diagnosis and management of feline hyperthyroidism: current perspectives. Vet Med (Auckl). 2014;5:85-96. Published 2014 Aug 20.
[11] McLean, Joanne L et al. “Prevalence of and risk factors for feline hyperthyroidism in South Africa.” Journal of feline medicine and surgery vol. 19,10 (2017): 1103-1109.
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[15] Köhler B, Stengel C, Neiger R. Dietary hyperthyroidism in dogs. J Small Anim Pract. 2012;53(3):182-184.
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[21] Rotstein D, Jones JL, Buchweitz J, et al. Pet Food-Associated Dietary Exogenous Thyrotoxicosis: Retrospective Study (2016-2018) and Clinical Considerations. Top Companion Anim Med. 2021;43:100521.