Le gras dans l’alimentation crue

Cet article fait partie de la série qui explore la science de la nutrition. Dans le précédent article de la série, on a commencé à parler des macronutriments et en particulier des protéines. Dans l’article d’aujourd’hui, on découvre un autre macronutriment : les lipides. On va voir ce que c’est, le besoin des chats en lipide et on parlera de certaines sources de gras qui font débat comme les huiles végétales ou l’huile de coco.


Qu'est ce que les lipides ?

Les lipides sont des composants solubles dans des solvants organiques (comme l’alcool), mais ils sont insolubles dans l’eau. En général, les lipides solides à température ambiante comme le beurre sont appelés des corps gras tandis que les lipides liquides à température ambiante sont appelés des huiles.
Ils peuvent être catégorisés en lipides simples, lipides complexes et lipides dérivés.


Les lipides simples

Des exemples de lipides simples sont les cires et les triglycérides. Ce sont les triglycérides qui vont nous intéresser puisque ce sont les lipides les plus communs dans l’alimentation de nos chats. De la même façon que les acides aminés sont les blocs formant les protéines, les acides gras sont les blocs formant les triglycérides. En effet, chaque triglycéride est composé de trois acides gras et d’une molécule de glycérol.


Les acides gras sont composés d’une chaîne de carbone et ils peuvent être classés en fonction du nombre de leurs carbones :

  • Les acides gras à chaîne courte (2 à 6 carbones), ou acides gras volatils : on a parlé de leurs bienfaits dans l’article sur les fibres.

  • Les acides gras à chaîne moyenne (8 à 12 carbones)

  • Les acides gras à chaîne longue (plus de 14 carbones)

Dans l’alimentation, les acides gras sont principalement à chaîne longue.
Les acides gras peuvent aussi être catégorisés en fonction des liaisons entre les carbones :

  • Les acides gras saturés (AGS) n’ont pas de doubles liaisons entre les carbones (ils sont donc saturés en hydrogène).

  • Les acides gras monoinsaturés ont une double liaison entre les carbones.

  • Les acides gras polyinsaturés (AGPI) ont deux ou plus de deux doubles liaisons entre les carbones.

Les acides gras dans les huiles végétales sont principalement insaturés (80-90%), tandis que dans le gras d’original animal ils sont principalement saturés (40-60%).
Enfin, les acides gras insaturés peuvent être séparés en fonction de la position de leur première double liaison. Si la double liaison se trouve en troisième position dans la chaîne de carbone alors ils sont appelés oméga-3 souvent écrit n-3 ou ω−3. De même, la première double liaison d’un oméga-6 ou d’un oméga-9 se trouve respectivement en 6ème ou en 9ème position.


Les lipides complexes et dérivés

Les lipides complexes sont des lipides liés à des molécules non-lipidiques comme les lipoprotéines, les glycolipides ou les phospholipides.
Les lipides dérivés sont par exemple les stéroïdes comme le cholestérol ou certaines hormones comme les oestrogènes. 
D’autres exemples de lipides dérivés sont les vitamines liposolubles A, D, E et K.

Informations supplémentaires :
Les acides gras sont souvent nommés avec une combinaison de lettres et de chiffres. Par exemple : C18:2n-6 est l’acide linoléique : 18 étant le nombre de carbones, 2 le nombre de double liaisons et 6 la position de la double liaison.

Quels sont les rôles des lipides ?

Le gras a diverses fonctions dans le corps du chat. Tout d’abord c’est une source d’énergie, parce que les lipides apportent deux fois plus d’énergie que les protéines ou les glucides. Comme nous l’avons vu dans l’article sur l’énergie, un gramme de lipides apportent 8.5 kcal.
Le gras est aussi la principale forme de stockage d’énergie dans le corps. En effet, le gras s’accumule sous la peau et autour des organes vitaux pour pouvoir être utilisé en cas de famine ou d'exercice physique prolongé. Les réserves de gras fournissent aussi de l’isolation ainsi qu’une protection contre les blessures pour les organes vitaux.
De même que les protéines, les lipides ont de nombreuses fonctions métaboliques. En effet, les lipides sont des composants des membranes des cellules et ils participent au transport des nutriments à travers les membranes des cellules.
Le cholestérol est nécessaire à la bonne digestion et à l’absorption des lipides.
Le gras est aussi une source d’acides gras essentiels comme nous allons le voir un peu plus bas dans l’article et il est aussi nécessaire pour l’absorption des vitamines liposolubles (les vitamines A, D, E et K).
Enfin, le gras comme les protéines est important pour la palatabilité de l’alimentation (le bon goût des aliments).


Les acides gras essentiels

Certains acides gras sont dits essentiels car ils ne peuvent pas être synthétisés par le corps et ils doivent donc être apportés par l’alimentation. Ces acides gras essentiels sont tous à chaînes longues et polyinsaturés de la famille des oméga-6 et des oméga-3.

Les acides gras essentiels de la famille des oméga-6 sont l’acide linoléique (AL) et l’acide arachidonique (AA).

Les acides gras essentiels de la famille des oméga-3 sont l’acide alpha-linolénique (AAL), l’EPA et le DHA.

Les acides gras essentiels sont des précurseurs de composants qui agissent comme des hormones et qui ont divers rôles. Par exemple, l’acide linoléique est important pour la santé de la peau. L’EPA et le DHA sont importants pour le système immunitaire, le DHA est important pour le développement neurologique et visuel durant la gestation et la croissance. D’autres rôles des acides gras essentiels incluent la régulation de la température, la coagulation sanguine et le contrôle des inflammations.

Les oméga-6 et les oméga-3 ont tous les deux des rôles majeurs, mais comme ils utilisent les mêmes voies métaboliques il est important de garder un équilibre entre les deux. Les recommandations actuelles sont de garder un ratio entre les oméga-6 et les oméga-3 compris entre 2:1 et 10:1.

Informations supplémentaires
L’acide linoléique (un oméga-6, C18:2n6) et l’acide alpha-linolénique (un oméga-3, C18:3n3) sont appelé les formes parentales des autres oméga-6 et oméga-3. En effet, la plupart des mammifères sont capables d’allonger (augmenter la taille des chaînes) et de désaturer (mettre plus de double liaisons) ces acides gras et ainsi de former d’autres oméga-6 et oméga-3 respectivement.
Donc l'acide linoléique est un précurseur de l’acide arachidonique (un oméga-6, C20:4n-6).
L’acide alpha-linolénique est un précurseur de l’EPA (l’acide eicosapentaénoïque, un oméga-3, C20:5n3) et du DHA (l’acide docosahexaénoïque, un oméga-3, C22:6n3).
Néanmoins, les chats ont des capacités limitées pour synthétiser des acides gras : c’est pourquoi l’acide arachidonique, l’EPA et le DHA, qui sont essentiels pour le chat, doivent être apportés dans leur alimentation.

Le besoin en lipides

Maintenant, nous allons quantifier les besoins en lipides :

  • Le besoin minimum selon les recommandations du NRC est de 22.5 g de lipides pour 1000 kcal, ce qui est équivalent à 19% des calories venant des lipides ou à 9% de lipides sur la matière sèche (MS) pour 4000 kcal/kg dans l’alimentation.

Si on regarde les données sur les chats sauvages, ils chassent des proies qui contiennent entre 30 à 68% des calories venant des lipides, et en moyenne les chats féraux consomment 46% de leurs calories venant du gras.
Une recommandation générale pour les chats adultes serait de fournir entre 30 à 40-45% des calories venant des lipides, puisque des niveaux élevés en gras ne sont pas appropriés pour nos chats domestiques qui ne sont pas aussi actifs que des chats féraux. Et comme cela a déjà été expliqué, le gras est important pour la palatabilité donc si la quantité de gras est trop faible le chat refusera de manger la nourriture.

Information supplémentaire
  • Pour l’acide linoléique : la recommandation du NRC est de 1.4 g pour 1000 kcal, équivalent à 0.55% sur la matière sèche pour 4000 kcal/kg.
  • Pour l’acide arachidonique : la recommandation du NRC est de 15 mg pour 1000 kcal.
  • Pour l’acide alpha-linolénique : il n’y a pas de recommandation pour les chats adultes.
  • Pour l’EPA et le DHA : la recommandation du NRC est de 25 mg pour 1000 kcal avec une majorité d’EPA. C’est équivalent à 0.01% sur la matière sèche.
Gardez en tête que l’on a peu d'informations sur les recommandations exactes pour les acides gras, en particulier pour l’EPA et le DHA qui sont parfois considérés conditionnellement essentiels. Et qu’il est important de garder un équilibre entre les oméga-6 et les oméga-3.

Les carences et excès en lipides

Le maximum nutritionnel est de 82.5 g de gras pour 1000 kcal, ce qui équivaut à 70% des calories venant du gras ou 33% de lipides sur la matière sèche. Cette limitation n’est pas causée par une toxicité du gras en tant que telle, mais parce que si trop de calories sont apportées par le gras, il n’y aura pas assez de protéines dans l’alimentation. De plus, comme le gras est élevé en calorie (2x plus que les protéines), une alimentation élevée en gras sera aussi très dense énergétiquement, ce qui veut dire que les autres nutriments devront être assez concentrés pour éviter les carences en nutriments. Et enfin, une alimentation dense énergétiquement peut facilement mener au surpoids.
L’excès en gras peut aussi causer des diarrhées ou des selles molles.
Les acides gras polyinsaturés (AGPI) sont fragiles et peuvent facilement devenir rances (ou oxydés) s'ils sont stockés à haute température ou dans un environnement humide. Lorsque les acides gras deviennent rances, ils perdent leur capacité et leur goût devient désagréable. Si on donne des niveaux élevé en AGPI sans ajouter des antioxydants comme la vitamine E, cela peut causer une panstéatite ou “maladie de la graisse jaune”.

Une déficience en acides gras peut empêcher la cicatrisation, causer une fourrure sèche et terne, une perte de poids, des lésions de peau et des hot-spots. Cela peut aussi causer des anomalies néonatales ou la mort ainsi que des problèmes de croissance chez les chatons. Enfin, une déficience en oméga-3 peut causer des anomalies du système nerveux et de la rétine, ainsi qu’une réduction des capacités d’apprentissage et de la mémoire.


Où trouve-t-on des acides gras ?

L’acide linoléique se trouve en grande quantité dans les huiles végétales comme l’huile de carthame (78% d’acide linoléique), l’huile de tournesol, mais aussi dans le gras animal, en particulier de volailles. Il est rare d’avoir besoin de supplémenter l’alimentation de votre chat en acide linoléique.

L’acide arachidonique se trouve exclusivement dans les produits d'origine animale. Le poulet est particulièrement riche en acide arachidonique, et il est aussi rare d’avoir besoin de supplémenter l’alimentation.

L’acide alpha-linolénique se trouve dans les huiles végétales comme l’huile de lin ou l’huile de colza, et en plus petite quantité dans le gras d’origine animale. Il est aussi rare d’avoir besoin de le supplémenter, d’autant plus qu’il n’y a pas de besoin défini pour le chat adulte. Si vous voulez équilibrer le ratio oméga-6:oméga-3 il est plus intéressant d’utiliser l’EPA et le DHA qui sont plus efficaces que le AAL.

L’EPA et le DHA se trouvent principalement dans les produits marins comme les poissons gras, l’huile de poisson, ou les huiles d’algues. Le DHA peut se trouver aussi dans la cervelle. Généralement l’EPA et le DHA doivent être supplémentés d’abord parce que la viande n’en contient pas assez mais aussi pour équilibrer le ratio oméga-6:oméga-3.

L’huile d’olive est souvent ajoutée dans les alimentations maison. Cependant, elle ne contient que 10% d’acide linoléique et pas d’autres acides gras essentiels. Le ratio oméga-6:oméga-3 est de 14:1 ce qui est plus élevé que le ratio recommandé. Pour toutes ces raisons, je ne recommande pas d’ajouter de l’huile d’olive à l’alimentation de votre chat.

L’huile de noix de coco est aussi une huile populaire dans l’alimentation crue, mais elle ne contient pas d’acides gras essentiels. Elle contient des triglycérides à chaînes moyennes :  ces acides gras ne sont pas digérés de la même façon que les acides gras à chaînes longues et peuvent avoir des effets thérapeutiques. Néanmoins, il n’y a actuellement que peu d’études sur le long-terme sur les chats, je ne recommanderais donc pas l’utilisation de l’huile de coco pour un usage alimentaire.



Ce que vous devez retenir de cet article c’est que le gras est un élément essentiel de l’alimentation. Cependant, une alimentation comportant trop de gras sera dense en nutriments et cela peut mener à de l'obésité. Dans une alimentation crue de type prey model, les besoins en acides gras essentiels AL, AAL, et AA sont couverts. Mais il est nécessaire de supplémenter le déficit en EPA et en DHA avec du poisson ou de l’huile de poisson ce qui permet également de faire baisser le ratio omega-6:omega-3.

Lipides dans la viande crue

Découpe g de lipides / 100g matière brute g de lipides / 1000kcal % de calories venant des lipides
Blanc de poulet 2.6 22 19
Blanc de poulet avec peau 9.3 54 46
Poitrine de boeuf 21.0 79 67
Paleron de boeuf 4.5 35 30
Boeuf haché 10% mg 10.0 57 48
Boeuf haché 20% mg 20.0 79 67
Boeuf haché 30% mg 30.0 90 77
Magret de canard 29.4 86 74
Épaule d’agneau 20.9 80 68
Jarret de porc 12.0 62 53
Filet de porc 3.5 29 25
Escalope de dinde 2.3 20 17
Cuisse de dinde avec peau 9.2 57 48
Escalope de veau 2.6 24 20
Épaule de veau 4.6 37 32
Cerf 2.4 20 17

Si le nombre est en rouge, ces viandes sont grasses (>15%).

Si le nombre est en jaune, ces viandes sont modérées en gras (~10).

Si le nombre est en verte, ces viandes sont maigres (<5%).

Acides gras essentiel dans l'huile et la viande

Aliment Acide linoléique (oméga-6) Acide arachidonique (oméga-6) Acide alpha-linolénique (oméga-3) EPA (oméga-3) DHA (oméga-3) Ratio oméga-6:oméga-3
Huile
Huile de tournesol 56 0 0.1 0 0 > 100
Huile de noix 56 0 11.9 0 0 5
Huile de maïs 54 0 1.0 0 0 52
Huile de soja 52 0 6.9 0 0 7
Huile de germe de blé 47 0 5.9 0 0 8
Huile de lin 14 0 53.3 0 0 < 1
Huile de colza 19 0 7.5 0 0 2
Huile d’olive 7 0 0.7 0 0 10
Huile de coco 2 0 0 0 0
Huile de sardine 0 0 0 10 11 < 1
Huile de saumon 0 0 0 13 18 < 1
Ingrédients
Blanc de poulet 0.32 0.05 0.01 0 0 15
Blanc de poulet avec peau 1.74 0.05 0.08 0.01 0.02 15
Coeur de poulet 1.91 0.72 0.07 0 0 37
Poitrine de boeuf 0.44 0.02 0.23 0 0 2
Paleron de boeuf 0.23 0.05 0 0 0 46
Boeuf haché 10% mg 0.26 0.04 0.04 0 0 8
Boeuf haché 20% mg 0.42 0.04 0.05 0 0 9
Boeuf haché 30% mg 0.58 0.04 0.07 0 0 10
Épaule d’agneau 1.20 0.07 0.37 0 0 3
Cervelle de porc 0.09 0.47 0.12 0 0.45 < 1
Jarret de porc 2.11 0.08 0.09 0 0 22
Filet de porc 0.46 0.05 0.02 0 0 33
Sardine 0.10 0 0.47 1.09 1.58 < 1
Saumon 0.17 0.27 0.30 0.32 1.12 < 1
Escalope de dinde 0.26 0.05 0.02 0 0 14
Cuisse de dinde avec peau 2.12 0.09 0.14 0 0.01 14
Escalope de veau 0.63 0.22 0.04 0.04 0.01 9
Épaule de veau 0.34 0.06 0.01 0 0 30
Cerf 0.31 0.10 0.07 0 0 6

Sources

Linda P. Case et al. 2015. Canine and Feline Nutrition.
National Research Council. 2006. Nutrient Requirements of Dogs and Cats. Washington, DC: The National Academies Press.
Eisert R. Hypercarnivory and the brain: protein requirements of cats reconsidered. J Comp Physiol B. 2011;181(1):1-17.
Plantinga EA, Bosch G, Hendriks WH. Estimation of the dietary nutrient profile of free-roaming feral cats: possible implications for nutrition of domestic cats. Br J Nutr. 2011;106 Suppl 1:S35-S48.

Sources pour les tableaux

USDA

CIQUAL

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