Le Persan : est-il trop tard pour la race ?

Lorsque j’ai écrit l'article sur l’élevage responsable, j’ai mentionné que l’élevage de chats avec des types extrêmes n’était pas responsable. Dans l’article d’aujourd’hui, je vais parler du cas d’hypertype probablement le plus connu chez le chat : le Persan. Les chats Persan sont brachycéphales, ce qui veut dire qu’ils ont une tête plus plate qu’un chat domestique moyen. On va aborder les problèmes de santé dus à la morphologie de leur tête et nous allons voir si cette race peut être considérée comme éthique.


Qu’est ce qu’un chat brachycéphale ?

Brachycéphale signifie littéralement “tête courte”, et cela renvoie aux chats ayant une tête plus plate ou courte que la morphologie normale du chat domestique.
Les races de chats qui sont généralement considérés brachycéphale sont le Persan, l’Exotic Shorthair (une version à poils courts du Persan), le Burmese Américain, le Scottish Fold, le British Shorthair/Longhair et le Selkirk Rex.
Néanmoins les cas les plus extrêmes de brachycéphalie se trouvent chez le Persan et l’Exotic Shorthair.
Il y a plusieurs façon de classifier les chats brachycéphales et dans cet article, je vais les séparer en deux catégories :

  • Brachycéphalie faible ou moyenne : c’est le cas du Burmese Américain, du Scottish Fold et des British ainsi que des types traditionnels du Persan et de l’Exotic. L'ancien type du Persian est appelé “doll-face” (visage de poupée) ou type traditionnel. Leur tête est ronde et la taille du nez est réduite avec un stop.

  • Brachycéphalie forte : c’est le cas du type moderne ou ultra-type du Persan et de l’Exotic Shorthair. Ils sont aussi parfois appelés “peke-face” en référence à la race de chien brachycéphale, le Pékinois. Le haut du nez est au même niveau ou au-dessus du bas des yeux. Les canines de la mâchoire supérieure sont pivotées et presque horizontales, l’ossature de la tête est réduite et le stop du nez est très prononcé. Le front, le nez et le menton sont alignés verticalement.

Plus la tête est aplatie ou écrasée, plus la mâchoire est pivotée et les voies respiratoires ainsi que les narines sont plus étroites. [2]

Modèle 3D de différentes morphologies de têtes [6]

Les problèmes respiratoires

Certaines conséquences de la brachycéphalie sont faciles à comprendre et parmi celles-ci il y a les problèmes respiratoires. Ce type de conséquences est groupé sous le terme de syndrome obstructif des voies respiratoires. Chez le chien, ce syndrome est bien documenté, il peut réduire la qualité de vie et l’espérance de vie des chiens affectés. [4]
Des études récentes ont montré que comme pour le chien, les chats étaient aussi touchés et les chats brachycéphales ont plus de risque d'avoir des problèmes respiratoires et de faire du bruit en respirant. Ces chats sont aussi moins actifs : ce qui est probablement dû à leur capacité limitée à respirer correctement. En effet, il a été observé dans plusieurs études que les propriétaires de Persan rapportaient chez leurs chats, des niveaux d’énergie et d’activité plus faibles que ce que les propriétaires d’autres races pouvaient rapporter. [2][4][12][13]
Dans les cas les plus graves, de la chirurgie peut être nécessaire pour corriger ces problèmes. [17]

(a) narines normales, (b) à (d) narines moyennement à sévèrement rétrécit de [11]

Les problèmes dentaires

La bouche et la mâchoire des Persans est touchée par la brachycéphalie. À cause de la taille réduite de leur bouche, ils ont fréquemment des chevauchements des dents et des problèmes de malocclusion. Plus la brachycéphalie du chat est sévère, plus les mâchoires sont tordues en une forme arquée et plus les canines supérieurs sont pivotées dans la bouche au point d’être presque horizontales plutôt que verticales.
Tout cela mène à des risques accrus de problèmes dentaires comme les résorptions dentaires et les maladies parodontales (gingivite, tartre et plaque dentaire). Cela peut aussi empêcher le chat de manger normalement puisqu’il ne pourra pas mastiquer. [7][10][12]

Chat avec une malocclusion sévère et un prognathisme mandibulaire de @ethicalcats

L’obstruction du canal lacrymo-nasale

Les décolorations de la fourrure et de la peau à cause d’un larmoiement excessif arrivent régulièrement chez les chats doll-face et ultra-typé. Cela est souvent considéré comme un problème d’entretien et cosmétique par les éleveurs et propriétaires de Persan. Pourtant, c’est un signe de problème de santé, parce que cela mène à des irritations de la peau et à des infections.
En effet, à cause des malformations de leur visage, le canal lacrymo-nasale est déformé pour éviter les racines des canines et il est même parfois entièrement bloqué. C’est pour cela que ces chats sont souvent susceptibles d’avoir des larmoiements excessifs. [2][4][10]
Combiné aux larmoiements, ces chats ont aussi des grands yeux et des orbites peu profondes ce qui provoquent plusieurs troubles oculaires comme des ulcères de la cornée, des entropions (la paupière qui s’enroule vers l’intérieur de l’oeil), et une sensibilité plus faible de la cornée. [11][12]

Même les chats avec une brachycéphalie faible sont susceptibles d’avoir des narines étroites et des larmoiements excessifs.

La longueur de la fourrure

Le Persan est la race de chat avec la fourrure la plus longue. Celle-ci est composée de deux couches : un poil de garde pour la protection et un sous-poil dense. Néanmoins, les malformations de leur bouche associées à leur fourrure épaisse et longue font qu’il est impossible pour ces chats de faire leur toilette correctement. Leur fourrure demande beaucoup d’attention de la part des propriétaires qui n'ont souvent pas assez de temps pour s’en occuper correctement.
Pour toutes ces raisons, les Persans ont plus de problèmes de peau et de fourrure comparativement aux autres races de chat. [1][10]

Anomalie neurocranienne et problème mentaux

Les chats Persans n’ont pas seulement un visage plat : la morphologie entière de leur crâne est impactée, ce qui affecte aussi la morphologie de leur cerveau. À cause de ces anomalies, les Persans ont un risque élevé d’hydrocéphalie, un excès de fluide dans le cerveau. C’est une cause importante de décès chez les chatons. Dans les cas les moins sévères l’hydrocéphalie peut causer des problèmes neurologiques, la surdité et des douleurs.
Des clubs de races du persans ont affirmé que l’hydrocéphalie n’était pas liée à la brachycéphalie, néanmoins une étude récente prouve le contraire. [6]

Bien que j’ai déjà présenté de nombreux problèmes de santé du Persan et de l’Exotic Shorthair, il y en a malheureusement d’autres. Une étude a porté sur la signature génétique des Persans et sur ce qui les rend différents des autres races. La région de leur ADN qui contient le plus de différences contient deux gènes : CHL1 et CNTN6. Chez les humains, les mutations de ces gènes sont associées à des retards mentaux, des troubles du comportement, ainsi que des malformations du visages et du crâne. [5][14]
Cette découverte suggère que les conformations les plus extrêmes du Persan ne sont pas dues uniquement à la sélection de nez de plus en plus aplatis mais aussi probablement à cause d’une mutation génétique qui cause des malformations du visage. Bien que l’on pensait précédemment qu’il y avait un spectre de morphologies du crâne, les chats sévèrement brachycéphales n’ont pas une morphologie normale poussée à l'extrême mais ils ont un symptôme clinique d’une maladie génétique.
Les Persans ultra-typés ont une forme féline de craniosynostoses, ce qui veut dire qu’ils ont une soudure prématurée des sutures du crâne. [6][14]

Cette étude suggère aussi que le caractère de ces chats réputés comme étant calmes et placides, serait causé par un retard mental : ces traits auraient pu être sélectionnés pour que les chats supportent des longs toilettages. [5]
Cela est cohérent avec les comparaisons comportementales entre les différentes races où les Persans sont rapportés comme étant peu intéressés par le jeu ou les interactions sociales avec les autres chats ou les humains. [13]

Reconstruction 3D de crânes de [6]

Qu’est ce que l'on peut faire ?

L’éducation

Dans une étude, les vétérinaires et les professionnels de la santé animale avaient un intérêt assez faible envers les races brachycéphales. Cela montre que la prise de conscience des problèmes de santé de ces races réduit l'intérêt que l'on porte à celles-ci. À mon avis, communiquer sur les problèmes de santé des Persan et des Exotic Shorthair est essentiel pour réduire la popularité de ces races. [8][9]



Les associations félines

L’un des plus gros problèmes est que actuellement le standard des associations félines encourage les ultra-types. Par exemple, le standard du LOOF mentionne que “De profil, le front, le nez et le menton sont alignés sur un même plan vertical.”
Dans une étude récente publiée en 2021 où les chats en exposition ont été analysés, 93% des Persans et Exotic Shorthair avaient le haut de leur nez au dessus du bas de l’oeil (ce qui correspond à un ultra-type) : cela montre qu’actuellement le type souhaité en exposition est extrême. De plus, 83% des chats avaient des larmoiements excessifs et 32% avaient des entropions, pourtant aucuns commentaires n’ont été fait de la part des juges sur la santé des chats. [11]
En 2021, lors du conseil général de la Fifé, il a été proposé de modifier le standard du Persan pour ajouter une mention que les chats devaient avoir “les narines ouvertes” ainsi que des disqualifications en cas de “respiration sonore et difficile” ou encore de "mâchoire de travers”, mais ces propositions ont été rejeté. [15]
Néanmoins, il n'est peut être pas encore trop tard pour arrêter la sélection des Persan avec un type extrême et retourner à un type traditionnel. La World Cat Federation, la race Traditional Longhair (aussi appelée Original Longhair) a été recréée et correspond à l’ancien type du Persan. [3]
Les éleveurs ont aussi déjà été capables d’améliorer la race dans le passé. En effet, dans les années 90, la polykystose rénale, une maladie génétique héréditaire, était très prévalente avec 49% des chats atteints. Grâce à des tests génétiques et une sélection, les éleveurs ont pu réduire la prévalence à 2% en 2016. Cela montre qu’avec une sélection ciblée ont peut réduire les problèmes de santé d’une race. [10]
Comme cela a été mentionné dans les études, il faut espérer que les associations félines vont agir et modifier les standards pour favoriser une meilleure santé des chats. [3][6]

La loi

Comme plusieurs études l’ont suggéré, si les associations félines n’agissent pas rapidement (moins de 5 ans) pour modifier les standards, l’élevage des hyper types brachycéphales devra être interdit. En effet, reproduire volontairement des animaux avec des malformations est considéré comme de la cruauté animale. [1][3][10][14]
De plus, si on se réfère à la Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie, l’élevage des chats Persan devrait déjà être prohibé par les pays qui ont ratifié cette convention. En effet l’article 5 dit que : “Toute personne qui sélectionne un animal de compagnie pour la reproduction doit être tenue de prendre en compte les caractéristiques anatomiques, physiologiques et comportementales qui sont de nature à compromettre la santé et le bien-être de la progéniture ou de la femelle”. [16]
Au vu de tous les problèmes de santé des Persans, il est clair que leur reproduction compromet la santé des chats.


Pour conclure, les Persans sont prédisposés à au moins 29 maladies, dont certaines que je n'ai pas eu la place de décrire dans cet article. L’élevage de Persans ultra-typés doit s'arrêter pour empêcher les souffrances animales. Vous pouvez agir et aider à sensibiliser sur ce sujet. Partagez cet article sur les réseaux sociaux, contactez votre club de race ou le LOOF, ou encore vos députés. En effet, la France ayant ratifié la convention européenne, il devrait être prohibé d’élever des Persans.

Sources

[1] Malik, R., Sparkes, A., & Bessant, C. (2009). Brachycephalia--a bastardisation of what makes cats special. Journal of feline medicine and surgery, 11(11), 889–890.
[2] Schlueter, C., Budras, K. D., Ludewig, E., Mayrhofer, E., Koenig, H. E., Walter, A., & Oechtering, G. U. (2009). Brachycephalic feline noses: CT and anatomical study of the relationship between head conformation and the nasolacrimal drainage system. Journal of feline medicine and surgery, 11(11), 891–900.
[3] Engberg L. (2010). Brachycephalic cats - is it too late for the Persian?. Journal of feline medicine and surgery, 12(1), 55.
[4] Farnworth, M. J., Chen, R., Packer, R. M., Caney, S. M., & Gunn-Moore, D. A. (2016). Flat Feline Faces: Is Brachycephaly Associated with Respiratory Abnormalities in the Domestic Cat (Felis catus)?. PloS one, 11(8), e0161777.
[5] Bertolini, F., Gandolfi, B., Kim, E. S., Haase, B., Lyons, L. A., & Rothschild, M. F. (2016). Evidence of selection signatures that shape the Persian cat breed. Mammalian genome : official journal of the International Mammalian Genome Society, 27(3-4), 144–155.
[6] Schmidt, M. J., Kampschulte, M., Enderlein, S., Gorgas, D., Lang, J., Ludewig, E., Fischer, A., Meyer-Lindenberg, A., Schaubmar, A. R., Failing, K., & Ondreka, N. (2017). The Relationship between Brachycephalic Head Features in Modern Persian Cats and Dysmorphologies of the Skull and Internal Hydrocephalus. Journal of veterinary internal medicine, 31(5), 1487–1501.
[7] Mestrinho, L. A., Louro, J. M., Gordo, I. S., Niza, M., Requicha, J. F., Force, J. G., & Gawor, J. P. (2018). Oral and dental anomalies in purebred, brachycephalic Persian and Exotic cats. Journal of the American Veterinary Medical Association, 253(1), 66–72.
[8] Farnworth MJ, Packer RMA, Sordo L, Chen R, Caney SMA, Gunn-Moore DA. In the Eye of the Beholder: Owner Preferences for Variations in Cats’ Appearances with Specific Focus on Skull Morphology. Animals. 2018; 8(2):30.
[9] Plitman, L., Černá, P., Farnworth, M. J., Packer, R., & Gunn-Moore, D. A. (2019). Motivation of Owners to Purchase Pedigree Cats, with Specific Focus on the Acquisition of Brachycephalic Cats. Animals : an open access journal from MDPI, 9(7), 394.
[10] O'Neill, D. G., Romans, C., Brodbelt, D. C., Church, D. B., Černá, P., & Gunn-Moore, D. A. (2019). Persian cats under first opinion veterinary care in the UK: demography, mortality and disorders. Scientific reports, 9(1), 12952.
[11] Anagrius, K. L., Dimopoulou, M., Moe, A. N., Petterson, A., & Ljungvall, I. (2021). Facial conformation characteristics in Persian and Exotic Shorthair cats. Journal of feline medicine and surgery, 23(12), 1089–1097.
[12] Sieslack, J., Farke, D., Failing, K., Kramer, M., & Schmidt, M. J. (2021). Correlation of brachycephaly grade with level of exophthalmos, reduced airway passages and degree of dental malalignment' in Persian cats. PloS one, 16(7), e0254420.
[13]Mikkola, S., Salonen, M., Hakanen, E., Sulkama, S., & Lohi, H. (2021). Reliability and Validity of Seven Feline Behavior and Personality Traits. Animals : an open access journal from MDPI, 11(7), 1991.
[14] Schmidt, M. J., Farke, D., Staszyk, C., Lang, A., Büttner, K., Plendl, J., & Kampschulte, M. (2022). Closure times of neurocranial sutures and synchondroses in Persian compared to Domestic Shorthair cats. Scientific reports, 12(1), 573.
[15] FIFe General Assembly - 2021
[16] Convention européenne pour la protection des animaux de compagnie
[17] Corgozinho, K. B., Pereira, A. N., Cunha, S. C., Damico, C. B., Ferreira, A. M., & de Souza, H. J. (2012). Recurrent pulmonary edema secondary to elongated soft palate in a cat. Journal of feline medicine and surgery, 14(6), 417–419.

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